Cours 4 :
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Faire de la philosophie, c'est pratiquer une conversion (de regard).
- Chez Platon, c'est l'anamnesis, traduit par « réminiscence »,
c'est la « vraie pensée », la pensée par soi-même.
Mais on ne peut y accéder spontanément. Cela suppose une pratique
au sein d'un dispositif : le dialogue, avec l'autre, ou
soi-même. La « phronesis » (éthique à Nicomaque) ou
sagesse pratique se fait ici dialogue avec soi-même, ce qu'on verra
dans le dialogue Phèdre dans lequel Platon décrit l'âme comme un
attelage de deux chevaux dirigés par le logos et qui représentent
des tendances contradictoires.
- Comment décrire ces tendances contradictoires ?
Marcel Proust dirait : « nous sommes plusieurs »
(les guerres, Swan, etc).
En outre, pour Claude Lévi-Strauss, « la pensée magique »
serait aussi une pensée de hantise. Nous avons transformé « les
esprits » en noos (l'esprit) et nous avons intégré la raison.
Pour Freud, les tendances contraires sont des champs pulsionnels que
l'on peut catégoriser en Eros, pulsion de vie (le héros et dieu du
Banquet par exemple), et Thanatos, la pulsion de mort.
Enfin, ce qu'Aristote appelle « âme noétique » (aspect
spirituel et intellectuel) ne peut œuvrer que par intermittence, en
apercevant le milieu noétique afin de le penser (métaphore du
poisson qui sort de l'eau).
- Les forces qui s'opposent créent une autre force, positive ou
négative. Nous ne sommes jamais stable donc nous sommes soit en
progression, soit en régression. Ainsi, ne pas progresser, c'est
régresser. Il faut donc lutter contre la paresse, c'est-à-dire le
recul devant sa propre transformation, et développer un art de vivre
en étant conduit par une épiléméleia : la discipline ou
soucis de soi. Ou encore « la technique de soi » comme le
disait Michel Foucault.
- Socrate appelle « son daimon », son démon (dans le
Banquet). Il a été arrêté par ce dernier et peut ainsi penser.
Platon veut en finir avec « les esprits » et veut obtenir
« l'esprit ». Socrate, qui défend la raison, le logos
soumis au canon géométrique, est habité par l'irrationnel.
« L'anamnesis », l'effort de mémoire, est l'aporie (le
problème en question) du dialogue Ménon. Socrate, qui déteste les
mystagogues et les poètes, affirme que pour expliquer l'anamnesis,
il faut les convoquer. Ainsi Diotima, prêtresse, est présente au
Banquet (celle qui a formé Socrate ; aussi l’héroïne de
Hoderlin et de Nietzche). Il y convoque aussi l'amour. Dans Phèdre,
il n'y a que l'amour. Dans ces textes, Platon exprime sa conversion
philosophique : l'amour de la sagesse.
Aristote le dira dans le Lycée : c'est une affaire de désir
qui structure l'âme noétique.
Pour Platon, la vérité, « alletheia » en grec, est liée
au désir, ou eros.
Paul de Tarse (Saint Paul) qui exprime la vie du Christ et écrit en
grec parle d'agapê (amour)
- Dans la société du prêtre-roi grec (du basilus), le critère de
transformation de l'avenir est la divination et non la vérité.
L'alletheia vient à partir du 7ème siècle : tribunal,
procédure contradictoire, jurés, avec la figure des balances. Et la
vérité géométrique apparaît aussi au 7ème siècle avec Thalès.
Mais il y a aussi la vérité logique, c'est-à-dire le raisonnement
non-contradictoire. C'est donc un changement du rapport au passé qui
doit être prouvé par des témoins, des archives, des poèmes, etc.
La vie collective est alors fondé en politique sur l'agora par les
citoyens qui argumentent véritativement. En cas de désaccord, on
retourne à la vérité divinatoire.
Socrate et Platon apparaissent au moment d'une crise de cette vérité.
- Depuis, il y a eu d'autres types de conversion.
Husserl, fin 19ème, Allemand : la démarche phénoménologique
(de la conscience).
Descartes, 17ème : le doute méthodique.
Kant, 18ème : la critique de la philosophie.
Tout philosophe convertit des conversions.
- B. Stiegler soutient que la philosophie contemporaine nécessite
une nouvelle conversion : en général, la conversion serait la
sortie du milieu de nos existences, en traduisant un écart, donc un
mouvement, parfois violent. Comment peut-on s'arracher au milieu ?
Le milieu noétique est métastable, c'est-à-dire à la limite de
l'équilibre, c'est en fait un système dynamique, car c'est un
milieu logique et symbolique, mais aussi technologique.
Par la dianoia - se réfléchir - c'est-à-dire la réflexivité, on
peut se mettre à distance de soi-même, par l'intermédiaire de son
daimon. L'âme noétique est en défaut, imparfaite, fêlée.
Transformer l'avenir, c'est transformer la bêtise en intelligence.
- Cela suppose une « epokê » : une suspension du
jugement. Il est à l'origine du mot « époque », cela a
donc rapport avec le temps et l'histoire, donc avec des stases.
L'épocalité de la pensée dit sa temporalité. C'est un
techno-logos.
Pour les humains, être dans le temps, ce n'est pas subir le devenir.
C'est être capable de se transformer et par la même le monde qui
nous entoure. Notre rapport au temps n'est pas stable.
Hérodote a changé ce rapport à l'histoire, il découvre l'histoire
en temps que tel, et non le temps du point de vu divinatoire
(égyptien). C'est la conversion d'Husserl : sa conversion qu'il
traduit par epokê.
- Quelles sont les conditions générales de toute épocalité ?
Revenons sur la thèse de l'individuation : la technicité de ce
que les grecs appellent les « mortels » (ceux qui sont
habités par la mort, qui savent qu'ils mourront), c'est vivre en
repoussant l'epokê de la mort, c'est-à-dire l'interrompre.
Freud « introduction à la psychanalyse » : nous sommes
sans cesse entrain de repousser la mort, mais nous sommes attirés
par elle. Cette pulsion de mort nous habite en permanence, mais elle
compose avec la pulsion de vie. Le savoir de la mort est la plupart
du temps un non-savoir.
Socrate dans le dialogue du Phédon : « la seule chose que
je sais, c'est que je ne sais rien ».
- Ce rapport à la mort fait cultiver un rapport aux dieux immortels.
L'« hubrys », la démesure, c'est l'obsession des grecs.
Ils craignent la force de leur civilisation. Les mortels sont « par
défaut », ils sont inachevés : n' ex-sister, ils sont
hors d'eux (être hors), car leur mortalité se transforme en
technicité.
Notre milieu est technique, nous ne le voyons pas, comme le poisson
ne voit pas l'eau. Ce qui nous constitue est une production
technique.
Il s'y produit des innovations. Au 19ème siècle, on a parlé
d'histoire et de progrès. Auparavant, il y avait une continuité.
La production technique est l'expression technique de la mortalité.
C'est une transformation de soi et de ses outils. À travers le
savoir de la mort, l'homme crée des savoirs qui visent à dépasser
cette mort.
- François Jacob, biologiste, a réinterprété Darwin « l'origine
des espèces » : il y a deux mémoires, l'ADN, et la
mémoire somatique ou nerveuse. Depuis que l'on a compris le
fonctionnement de l'ADN, on sait qu'il y a des séquences de
nucléotides qui constituent le génome (la génétique de l'espèce).
On sait que le génome n'est pas influencé par la vie de l'individu.
Les deux mémoires ne communiquent donc pas. Cela signifie que le
programme ne reçoit pas de leçon de l'expérience.
L'expérience de l'individu ne peut se transmettre à la
collectivité. Dès que l'homme apparaît, une mémoire technique
apparaît. Elle est épi-cinégénétique. Nous passons de l'hérédité
à l'héritage.
- Platon, au travers Protagoras raconte un mythe : Zeus décide
que le temps est venu de faire venir au jour les races mortelles. Il
prescrit à Prométhée et à Epiméthée de doter de qualités les
êtres non-immortels, à chaque espèce de façon convenable.
Epiméthée affirme vouloir faire la distribution seul et distribue
les qualités, force sans vélocité, vélocité sans force,
c'est-à-dire en égalisant les chances, afin d'éviter qu'une race
ne s'éteignit. Mais, n'étant pas avisé, il restait la race non
privée de raison sans qualité (l'homme).
Lorsque Prométhée contrôle la distribution, le thanatoi, homme
mortel, est sans qualité. Il est en défaut de qualité. Il dérobe
alors le feu, car sans le feu, il n'y aurait moyen pour personne
d'acquérir le génie. C'est l'attribut divin par excellence, la
force de Zeus, l'attribut d’Héphaïstos, dieu incomplet,
handicapé. Prométhée est condamné à se faire manger le foie par
un aigle.
Le feu est aussi la métaphore du désir. Pandora est toujours en
feu. Pour Hésiode, dans la « Théogonie » : elle
apparaît pour punir les hommes, ils doivent travailler afin de
produire le blé, ils sont soumis à la division, à la sexuation.
Pandora est recouverte de bijoux pour séduire, des breloques
techniques que Héphaistos produit.
Mais le savoir d'administrer les cités, sophia, il ne le posséda
pas. Ce savoir était chez Zeux. L'homme ayant eu sa part du lot
divin, il fut en premier lieu le seul des animaux a croire en des
dieux, à élever des autels. Les hommes sont des êtres inermes
(sans défenses). Pandora ne peut s'empêcher de fouiller la jarre
dans laquelle se trouve tout les maux. La technique, c'est l'origine
du désir des êtres noétiques. La capacité à transformer par la
technique en engendre le désir. Il cède dans l'hubrys, dont
Dionysos est la figure criminelle.
La technique peut conduire à l'auto-destruction des êtres humains.
Ils commettent des injustices. Seuls les hommes connaissent le
meurtre inter-racial. Le feu est une fausse qualité car il se
renverse en un défaut. Il leur manque « la technique
politique » qu'Hermès, dieu des messagers et de la divination
ainsi que de l'écriture, leur apporte. Il leur apporte le sentiment
de la justice et de l'aidos, la honte (honneur, pudeur) d'être ce
que l'on est, mortel, défaillant, bête. Si Hermès est celui qui
apporte ces deux sentiments, c'est qu'il est aussi le dieu de
l'écriture, écriture qui apporte le droit, les tribunaux, la
capacité à arbitrer véritativement.
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