jeudi 14 février 2013

Mes outils d'écriture

Je me suis dit qu'écrire quelque chose sur les outils que j'utilise pour écrire pourrait intéresser quelques uns de mes lecteurs. Je vais donc vous présenter chacun de ces objets qui m'accompagnent dans ce travail personnel.

Mais avant cela, il y a plusieurs choses à préciser :  il ne s'agit pas seulement "d'outils". A vrai dire, le terme "outils" peut sembler réducteur et concret. En effet, il y a ce que mon frère Nicolas appelle la "triangulation", autrement dit il s'agit de s'offrir la force d'un élan (poétique), voire le recul nécessaire à l'écriture, par appuis sur un autre médium. Je trouve cette idée de triangulation intéressante car elle exprime bien le besoin que l'on peut avoir de prendre de la distance par rapport à son support de travail et à son sujet.

Souvent, il n'est pas possible de réaliser un face à face avec l'écriture, car la spontanéité est tout simplement absente et il n'est jamais bon de forcer l'écriture, sous peine de superficialité. Chez moi, les mots doivent fermenter en tonneau un certain temps, et je prends toujours ce temps pour penser et sentir le juste moment pour écrire, quand je les entends me presser, ce que d'aucun appelle "le souffle" de l'écriture. A l'opposé de cela, il y a ce que j'appelle l'ornement cousu de trop de défauts, notamment quand il constitue un ajout au texte car il se résume alors à de la décoration et blesse ainsi le texte en enterrant son objet. Selon moi, le respect de ce temps de fermentation est essentiel, malgré toutes les frustrations que l'on peut rencontrer de ne pas vivre l'enthousiasme du moment d'écriture, ou au contraire la pression folle des vents intérieurs que l'on doit parer jusqu'à ce qu'ils soient quiets.
Cette métaphore du vent déchaîné me permet de vous décrire une autre possibilité, la plus complexe à expliquer : que la spontanéité même soit dépassée par la vision que l'on a du Réel. Ce dernier peut s'avérer brûlant comme le Soleil, c'est véritablement l'histoire d'Icare. L'objet nu que l'on tente alors de cerner au sein de son milieu ("mondé" dirais-je) peut ainsi nous apparaître trop directement et nous blesser, car nous avons perdu trop d'assise symbolique au sein du monde (j'en parle dans mon poème "Il n'y a rien sans leurres").
L'écriture est donc aussi le jeu du funambule qui se concentre sur son équilibre - l'harmonie - de ses pas - de ses mots - et qui apprécie la distance qui lui reste à parcourir - le sujet - avant d'atteindre l'autre bout, la fin de l'épreuve (ce que l'on éprouve) - la fin du poème -.

Les outils sont donc d'une part le moyen de choisir à quelle distance on tient son sujet, et d'autre part un ressource concrète pour le travail en cours.

Bien entendu, il y a aussi le plaisir de fréquenter des objets que l'on a choisi pour être auprès de soi ou construit soi-même. En bref, ce sont des objets d'affection qui mis bout à bout ont peut-être la force d'ajuster cette distance dont nous avons parlé.



Ces objets, quels sont-ils ?

Commençons par l'essentiel : les cahiers de poésie. Je n'ai jamais trouvé de meilleurs cahiers que ces "Note Book" (cf. Image).
C'est un bel objet. La couverture et la quatrième sont un peu rugueuses, ce qui est très agréable au touché (les couleurs toujours élégantes). L'intérieur est simple, sans ajouts, parfaitement libre pour l'écriture. Il y a des lignes, mais pas de carreaux (que je n'aime pas car il me donne l'impression de calculer la longueur de mes phrases) et les pages sont souples mais pas fragiles, enfin l'on éprouve beaucoup de plaisir à écrire sur ce papier lisse et suffisamment épais.

En y réfléchissant, je me dis que ce n'est pas forcément évident, mais il me semble préférable d'avoir un bel objet pour produire de belles choses. C'est presque une motivation supplémentaire : s'entourer de belles choses.

Après quelques années d'indécision, j'ai choisi le cahier au détriment de l'ordinateur pour écrire. Ce dernier a beau être très pratique, le travail de réécriture sur celui-ci n'est jamais si important, et les avantages en terme de liberté sur la page, entre les lignes, de pouvoir dessiner, rayer (etc), ne sauraient être dépassés par l'aspect pratique de l'informatique.

J'ai donc de multiples cahiers de ce genre, qui dure entre 4 mois et 1 an en ce qui concerne la poésie.

Mais je les utilise aussi pour deux autres choses :
- D'une part, je colle dans l'un deux mes synthèses (notes de lecture publiées sur le blog notamment) de livres, souvent qui m'ont particulièrement saisi.
- D'autre part, je répertorie dans mon "cahier bleu" tous les mots qui me sont inconnus, les expressions qui me font sourire de plaisir (par ailleurs, j'ai un répertoire pour l'anglais de Shakespeare), ce qui m'amène aux dictionnaires...



Je pense tout particulièrement, en dehors des dictionnaires habituels, au dictionnaire analogique de Prudence Boissière(cf. image), une véritable mine d'or pour les amoureux du français.
Je pense que quelques exemples seront plus éloquents qu'une explication. Prenons le mot "ornement". Il renvoie à BEAU où l'on le trouve ; à chaque mot est rendu compte alphabétiquement d'un grand nombre d'analogie, ce qui donne pour BEAU :
- Adonis, jeune garçon qui se trouve beau ; - s'Adoniser, se trouver beau, comme Adonis.
- Appas, charmes.
- Bien ; assez bien ; mieux : cet homme est bien, il est bien de figure.
- Calli, commence plusieurs mots où il exprimer l'idée de beau, comme calligraphe, calligraphie, callipyge, etc.
- Diable (beauté du), la jeunesse.
- Frisque, joli et mignon. (vx)
- Nonpareil, qui est sans égal.
- Ornement, ce qui orne ; action d' - ORNER, rendre beau par des accessoires.
- Spécieux, qui a de belles apparences ; - spéciosité, belle apparence ; - spécieusement.
- Tourné (bien), fait au tour, bien fait.
- Vénusté, grâce et beauté.
(etc)

Je n'ai cité que quelques mots au hasard sous "BEAU". C'est un outils utile pour trouver une nuance qui nous échappe, mais il a le défaut d'être très, voire trop riche, et parfois dépassé, ainsi on peut avoir tendance à tomber dans "l'ornement", ou à utiliser des mots trop anciens et rares pour que le lecteur comprenne et que sa lecture soit fluide, d'autant que personnellement, je m'habitue relativement vite à la présence de nouveaux mots dans mon lexique et j'en oublie leur aspect inusité. Mais je ne pense pas qu'il soit si désagréable pour le lecteur de rencontrer un mot dont il ignore le sens, et de toutes façons, il y a des choses que l'on ne peut dire avec un vocabulaire pauvre.

Sans oublier d'avoir un stylo qui nous convient, il me semble ne rien avoir oublié d'essentiel, sauf une dernière chose qu'il peut sembler étrange de qualifier "d'outils" : ce sont les autres auteurs. 

En effet, je crois impossible d'écrire sans entretenir un rapport aux auteurs préexistants. Bien sur, chacun est libre d'élire ceux qu'il préfère. Pour ma part, j'ai été totalement saisi par la beauté et l'universalité que dégage deux auteurs :
- Rainer Maria Rilke : Les élégies de Duino (mais pourquoi ne lis-je pas l’allemand !).
- William Shakespeare, notamment Hamlet (merveilleux en anglais).


















Ces oeuvres sont des merveilles du patrimoine de l'humanité. Il y a bien d'autres auteurs qui ont mon amour et ma plus haute estime : Antonin Artaud, Henri Michaux, Apollinaire, etc (et là, seulement ce qui concerne la poésie).

Voilà que je me pose une question : peut-on exister véritablement dans l'écriture sans rapport aux autres auteurs ? Je ne le pense pas, la langue vient bien de quelque part, et si l'on tend à construire la sienne singulière, juste et belle, c'est en entretenant un lien privilégié à certains d'entre eux que c'est possible.

Quand je commençais à écrire, petit (j'avais peut-être 10 ans ?), je lisais Henri Michaux. Et j'adorais ce poème :


Icebergs

Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture,  où de vieux cormorans
abattus et les âmes des matelots morts récemment viennent s'accouder
aux nuits enchanteresses de l`hyperboréal.

Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver éternel,
enrobés dans la calotte glaciaire de la planète Terre.  
Combien hauts, combien purs sont tes bords enfantés par le froid.

Icebergs, Icebergs,  dos du Nord-Atlantique, augustes Bouddhas gelés
sur des mers incontemplées. Phares scintillants de la Mort sans issue, le
cri  éperdu du silence dure des siècles.

Icebergs, Icebergs,  Solitaires sans besoin, des pays bouchés, distants,
et libres de vermine. Parents des îles, parents des sources, comme je
vous vois, comme vous m'êtes familiers...

                        Henri Michaux (La Nuit remue)



Et j'avais moi-même écrit : 



Iceberg

L’igloo flotte, sans ceinture.
Iceberg, Cathédral hivernal.
Phares mobiles des mers
Ou le silence dure des siècles.
Solitaire sans besoins,
Parents des sources lointaines
Et fils de la montagne.
Les matelots viennent
S’accouder à vos pointes
Pour une épave proche de Dieu.



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C'est assez étrange de se dire que l'on a écrit cela à cet âge, mais j'ai toujours aimé ce petit poème de mes 10 ans, sans doute le cinquième ou le sixième poème que j'ai écrit. C'était un vrai voyage ! Pendant longtemps, je me souviens que ces mots, les siens et les miens, sont entrés en échos et que cela me procurait beaucoup de chaleur et de réconfort.
Finalement, pour commencer quelque chose, on ne peut qu'imiter. "Faire à la façon", disaient-ils au collège et au lycée, mais là, je détestais cela... Je n'ai jamais réussi à pondre quelque chose de bien sans intimité, aussi étais-je toujours honteux d'écrire dans un autre contexte.
C'est ici l'occasion de répondre à une objection que l'on m'a souvent faite : "pourquoi écrire si tu ne le partages pas ?". Je répondais : "je ne sais pas, j'écris pour moi, c'est tout. Parfois je fais lire un texte à un proche."

Pourtant, la vérité, c'est que ces auteurs-outils sont parfois presque une altérité pour moi et, qu'ainsi, il y a déjà une sorte de partage. Malheureusement, dans une société du conformisme et de la consommation stupide comme la notre, il est impossible pour moi de maintenir ce lien en permanence - je ne sais pas si ce serait souhaitable - et je le regrette parfois. Je n'arrive pas à faire preuve d'élégance et d'intelligence la majorité du temps. Ce n'est pas ce que je voudrais que l'on croit de moi.
Pour 99% d'entre nous, il faut toujours se battre contre la bêtise ambiante : racisme éhonté, absence de concentration sur quoique ce soit, absence de richesses intérieures, voire absence de conscience...

Pouvoir choisir le rapport que l'on entretient au monde est un rare privilège. 

Très récemment, j'ai appris que d'autres sortes de dialogue étaient possibles, surtout par "Le Dialogue" que j'ai entretenu avec mon frère Nicolas (publié sur le ce blog). Je le remercie ici pour cela. C'est si rare et difficile de trouver rien qu'une véritable écoute de ce qui est écrit, alors une compréhension, cela n'existe quasiment pas, même sous forme d'interprétations personnelles. De plus, avec le temps, on prend des raccourcis dans l'écriture, tout simplement parce qu'il y a déjà du chemin parcouru derrière soi. Et beaucoup de lecteurs s'arrêtent de lire quand ils se rendent compte qu'ils ne sont pas entrain de se lire (eux-mêmes, dans la langue qui est la leur).


Merci à mes lecteurs























1 commentaire:

  1. Pour aller plus loin, je crois qu'il est intéressant de lire ce post de mon frère :

    http://hilfiger-1977.blogspot.fr/p/giorgio-agamben-nudites.html?showComment=1360840418973

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