dimanche 3 février 2013

Ecole d'Epineuil : cours de philo 4



Cours 4 :
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Faire de la philosophie, c'est pratiquer une conversion (de regard).

- Chez Platon, c'est l'anamnesis, traduit par « réminiscence », c'est la « vraie pensée », la pensée par soi-même. Mais on ne peut y accéder spontanément. Cela suppose une pratique au sein d'un dispositif : le dialogue, avec l'autre, ou soi-même. La « phronesis » (éthique à Nicomaque) ou sagesse pratique se fait ici dialogue avec soi-même, ce qu'on verra dans le dialogue Phèdre dans lequel Platon décrit l'âme comme un attelage de deux chevaux dirigés par le logos et qui représentent des tendances contradictoires.

- Comment décrire ces tendances contradictoires ?
Marcel Proust dirait : « nous sommes plusieurs » (les guerres, Swan, etc).
En outre, pour Claude Lévi-Strauss, « la pensée magique » serait aussi une pensée de hantise. Nous avons transformé « les esprits » en noos (l'esprit) et nous avons intégré la raison.
Pour Freud, les tendances contraires sont des champs pulsionnels que l'on peut catégoriser en Eros, pulsion de vie (le héros et dieu du Banquet par exemple), et Thanatos, la pulsion de mort.
Enfin, ce qu'Aristote appelle « âme noétique » (aspect spirituel et intellectuel) ne peut œuvrer que par intermittence, en apercevant le milieu noétique afin de le penser (métaphore du poisson qui sort de l'eau).

- Les forces qui s'opposent créent une autre force, positive ou négative. Nous ne sommes jamais stable donc nous sommes soit en progression, soit en régression. Ainsi, ne pas progresser, c'est régresser. Il faut donc lutter contre la paresse, c'est-à-dire le recul devant sa propre transformation, et développer un art de vivre en étant conduit par une épiléméleia : la discipline ou soucis de soi. Ou encore « la technique de soi » comme le disait Michel Foucault.

- Socrate appelle « son daimon », son démon (dans le Banquet). Il a été arrêté par ce dernier et peut ainsi penser. Platon veut en finir avec « les esprits » et veut obtenir « l'esprit ». Socrate, qui défend la raison, le logos soumis au canon géométrique, est habité par l'irrationnel.
« L'anamnesis », l'effort de mémoire, est l'aporie (le problème en question) du dialogue Ménon. Socrate, qui déteste les mystagogues et les poètes, affirme que pour expliquer l'anamnesis, il faut les convoquer. Ainsi Diotima, prêtresse, est présente au Banquet (celle qui a formé Socrate ; aussi l’héroïne de Hoderlin et de Nietzche). Il y convoque aussi l'amour. Dans Phèdre, il n'y a que l'amour. Dans ces textes, Platon exprime sa conversion philosophique : l'amour de la sagesse.
Aristote le dira dans le Lycée : c'est une affaire de désir qui structure l'âme noétique.
Pour Platon, la vérité, « alletheia » en grec, est liée au désir, ou eros.
Paul de Tarse (Saint Paul) qui exprime la vie du Christ et écrit en grec parle d'agapê (amour)

- Dans la société du prêtre-roi grec (du basilus), le critère de transformation de l'avenir est la divination et non la vérité. L'alletheia vient à partir du 7ème siècle : tribunal, procédure contradictoire, jurés, avec la figure des balances. Et la vérité géométrique apparaît aussi au 7ème siècle avec Thalès. Mais il y a aussi la vérité logique, c'est-à-dire le raisonnement non-contradictoire. C'est donc un changement du rapport au passé qui doit être prouvé par des témoins, des archives, des poèmes, etc. La vie collective est alors fondé en politique sur l'agora par les citoyens qui argumentent véritativement. En cas de désaccord, on retourne à la vérité divinatoire.
Socrate et Platon apparaissent au moment d'une crise de cette vérité.

- Depuis, il y a eu d'autres types de conversion.
Husserl, fin 19ème, Allemand : la démarche phénoménologique (de la conscience).
Descartes, 17ème : le doute méthodique.
Kant, 18ème : la critique de la philosophie.
Tout philosophe convertit des conversions.

- B. Stiegler soutient que la philosophie contemporaine nécessite une nouvelle conversion : en général, la conversion serait la sortie du milieu de nos existences, en traduisant un écart, donc un mouvement, parfois violent. Comment peut-on s'arracher au milieu ? Le milieu noétique est métastable, c'est-à-dire à la limite de l'équilibre, c'est en fait un système dynamique, car c'est un milieu logique et symbolique, mais aussi technologique.
Par la dianoia - se réfléchir - c'est-à-dire la réflexivité, on peut se mettre à distance de soi-même, par l'intermédiaire de son daimon. L'âme noétique est en défaut, imparfaite, fêlée. Transformer l'avenir, c'est transformer la bêtise en intelligence.

- Cela suppose une « epokê » : une suspension du jugement. Il est à l'origine du mot « époque », cela a donc rapport avec le temps et l'histoire, donc avec des stases. L'épocalité de la pensée dit sa temporalité. C'est un techno-logos.
Pour les humains, être dans le temps, ce n'est pas subir le devenir. C'est être capable de se transformer et par la même le monde qui nous entoure. Notre rapport au temps n'est pas stable.
Hérodote a changé ce rapport à l'histoire, il découvre l'histoire en temps que tel, et non le temps du point de vu divinatoire (égyptien). C'est la conversion d'Husserl : sa conversion qu'il traduit par epokê.

- Quelles sont les conditions générales de toute épocalité ? Revenons sur la thèse de l'individuation : la technicité de ce que les grecs appellent les « mortels » (ceux qui sont habités par la mort, qui savent qu'ils mourront), c'est vivre en repoussant l'epokê de la mort, c'est-à-dire l'interrompre.
Freud « introduction à la psychanalyse » : nous sommes sans cesse entrain de repousser la mort, mais nous sommes attirés par elle. Cette pulsion de mort nous habite en permanence, mais elle compose avec la pulsion de vie. Le savoir de la mort est la plupart du temps un non-savoir.
Socrate dans le dialogue du Phédon : « la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien ».
- Ce rapport à la mort fait cultiver un rapport aux dieux immortels. L'« hubrys », la démesure, c'est l'obsession des grecs. Ils craignent la force de leur civilisation. Les mortels sont « par défaut », ils sont inachevés : n' ex-sister, ils sont hors d'eux (être hors), car leur mortalité se transforme en technicité.
Notre milieu est technique, nous ne le voyons pas, comme le poisson ne voit pas l'eau. Ce qui nous constitue est une production technique.
Il s'y produit des innovations. Au 19ème siècle, on a parlé d'histoire et de progrès. Auparavant, il y avait une continuité.
La production technique est l'expression technique de la mortalité. C'est une transformation de soi et de ses outils. À travers le savoir de la mort, l'homme crée des savoirs qui visent à dépasser cette mort.

- François Jacob, biologiste, a réinterprété Darwin « l'origine des espèces » : il y a deux mémoires, l'ADN, et la mémoire somatique ou nerveuse. Depuis que l'on a compris le fonctionnement de l'ADN, on sait qu'il y a des séquences de nucléotides qui constituent le génome (la génétique de l'espèce). On sait que le génome n'est pas influencé par la vie de l'individu. Les deux mémoires ne communiquent donc pas. Cela signifie que le programme ne reçoit pas de leçon de l'expérience.
L'expérience de l'individu ne peut se transmettre à la collectivité. Dès que l'homme apparaît, une mémoire technique apparaît. Elle est épi-cinégénétique. Nous passons de l'hérédité à l'héritage.

- Platon, au travers Protagoras raconte un mythe : Zeus décide que le temps est venu de faire venir au jour les races mortelles. Il prescrit à Prométhée et à Epiméthée de doter de qualités les êtres non-immortels, à chaque espèce de façon convenable. Epiméthée affirme vouloir faire la distribution seul et distribue les qualités, force sans vélocité, vélocité sans force, c'est-à-dire en égalisant les chances, afin d'éviter qu'une race ne s'éteignit. Mais, n'étant pas avisé, il restait la race non privée de raison sans qualité (l'homme).
Lorsque Prométhée contrôle la distribution, le thanatoi, homme mortel, est sans qualité. Il est en défaut de qualité. Il dérobe alors le feu, car sans le feu, il n'y aurait moyen pour personne d'acquérir le génie. C'est l'attribut divin par excellence, la force de Zeus, l'attribut d’Héphaïstos, dieu incomplet, handicapé. Prométhée est condamné à se faire manger le foie par un aigle.

Le feu est aussi la métaphore du désir. Pandora est toujours en feu. Pour Hésiode, dans la « Théogonie » : elle apparaît pour punir les hommes, ils doivent travailler afin de produire le blé, ils sont soumis à la division, à la sexuation. Pandora est recouverte de bijoux pour séduire, des breloques techniques que Héphaistos produit.
Mais le savoir d'administrer les cités, sophia, il ne le posséda pas. Ce savoir était chez Zeux. L'homme ayant eu sa part du lot divin, il fut en premier lieu le seul des animaux a croire en des dieux, à élever des autels. Les hommes sont des êtres inermes (sans défenses). Pandora ne peut s'empêcher de fouiller la jarre dans laquelle se trouve tout les maux. La technique, c'est l'origine du désir des êtres noétiques. La capacité à transformer par la technique en engendre le désir. Il cède dans l'hubrys, dont Dionysos est la figure criminelle.
La technique peut conduire à l'auto-destruction des êtres humains. Ils commettent des injustices. Seuls les hommes connaissent le meurtre inter-racial. Le feu est une fausse qualité car il se renverse en un défaut. Il leur manque « la technique politique » qu'Hermès, dieu des messagers et de la divination ainsi que de l'écriture, leur apporte. Il leur apporte le sentiment de la justice et de l'aidos, la honte (honneur, pudeur) d'être ce que l'on est, mortel, défaillant, bête. Si Hermès est celui qui apporte ces deux sentiments, c'est qu'il est aussi le dieu de l'écriture, écriture qui apporte le droit, les tribunaux, la capacité à arbitrer véritativement. 

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