dimanche 3 février 2013

Réflexions sur Roméo et Juliette de Shakespeare




Préface et traduction Yves Bonnefoy,


Roméo et Juliette sont des victimes qui semblent totalement innocentes. Dieu, la Providence, ou un sombre destin, semblent les conduire, à force d'amour et de guerre, au suicide, qui conduit lui-même en enfer. C'est donc une forme de mal qui vient frapper les vertueux.

Le sentiment amoureux n'est pas en soi répréhensible. On peut le dire conforme à toute époque. Ainsi, ce ne serait pas ce sentiment qui porte préjudice aux personnages, mais l'incapacité de Roméo à s'adapter à la réalité de son époque : un certain ordre social conformiste, ainsi qu'une situation de guerre civile entre deux familles, les Montaigu et les Capulet, l'empêchent de vivre simplement et directement sa relation à Juliette.

Mais l'amour de Roméo ne serait pas si pur et à la couleur si franche. Le début de la pièce indique qu'il s'était fortement entiché de Rosaline. Tous s'étonnent de son nouvel amour pour Juliette. Donc cette dernière a pu être une seconde Rosaline.
Ce serait l'un des signes de la mélancolie qui place Roméo hors du monde social dans lequel il se trouve, malgré les nombreux dangers qui le menacent, étant donné le contexte de guerre entre les familles nobles, Capulet et Montaigu.
Elle donne lieu aussi à une forme de réflexivité que l'on retrouvera de façon beaucoup plus étoffée chez Hamlet, sauf que ce dernier instaure avec recul un dialogue intérieure où l'on discerne des figures inconscientes, de terribles secrets, et des impossibles et absolus qui mènent au meurtre. Roméo quant à lui n'initie aucune bataille, ne lève jamais son arme, sauf pour se défendre.
Pourtant, à cause de cette mélancolie, on peut dire que Roméo a une faible volonté et une frêle capacité à pratiquer son libre-arbtire. Il est donc vulnérable au mal qui cherche un vaisseau dans cette époque contaminée.
De plus, au début de la pièce il se détermine à agir selon ses rêves. Bien entendu, c'est aussi l'usage à l'époque.
Mercutio, Acte I, scène IV :
« C'était que ceux qui rêvent
Sont de mauvais coucheurs. »
(« That dreamers often lie » = les rêveurs mentent).
Mais c'est tout de même encore une référence extérieure au monde social normal. Il va ainsi à la fête des Capulet avec le pressentiment du malheur.





Roméo, Acte I, scène V :
« Bien trop tôt, je le crains. Car mon âme redoute
Qu'un avenir, enclos dans les astres,
Commence amèrement ses heures funestes
Dans les joies de ce soir, et marque le terme,
Par le vil châtiment d'une mort précoce,
De la vie méprisée qu'abrite mon cœur ! (...) »
Cette distanciation d'avec le monde nous interroge sur le mal qui nuit dans la société à travers le faible Roméo. N'a-t-elle pas le pouvoir de lui faire ignorer aussi bien la réalité sociale que la réalité subjective ? Son amour pour Juliette n'est-il pas qu'un intense feu de paille, brulant indépendamment d'elle, comme celui qu'il portait à Rosaline ? Car ce n'est que plus tard dans la pièce que Roméo fait la rencontre de Juliette et qu'ils partagent leurs sentiments, mais il est trop tard, comme s'ils avaient mis le doigt dans un engrenage qui allait dérouler une terrible mécanique du mal. Ils se sont privés de toutes pratiques sociales normales. D'où le mariage secret et tout ce qu'il s'en suit. Les deux amants vont donc a priori vivre leur relation en marge de la société, sans tenter d'utiliser les voies sociales normales, comme la demande en mariage.
Le bien ne doit pas être possible dans la plus parfaite des puretés, car le bien implique l'erreur et le doute, autrement dit l'appréhension de la complexité de la réalité, et de recevoir les retours de celle-ci. C'est ici, pour Roméo et Juliette, l'hypothèse d'un terrible absolu dans l'amour qui verse dans la folie par absence de limites. La préhension de l'autre se fait sans son appréhension. Du moins, cette folie amoureuse a toujours existé et la société devrait permettre qu'elle existe afin que dans le temps elle devienne plus raisonnable et moins souveraine sur l'esprit des amants.

Néanmoins, le contexte et la jeunesse des amants (Juliette « n'a pas quatorze ans », Acte I, scène III) pourraient sinon justifier, au moins expliquer une telle déraison et de de tels secrets. Pourtant, la réalité n'est pas si sombre pour les amants, car divers occasions « normales » se présentent à eux dans la pièce.
En premier lieu, le chef de la maison Capulet ne va pas directement à l'encontre de la relation des amants. Il semble vouloir, dans un premier temps, prendre en compte la volonté de sa fille. Lorsqu'elle sera malade d'amour, il changera violemment d'attitude en la forçant à un mariage précipité.
Acte I, scène II, Capulet (s'adressant au Comte Paris) :
« Ma volonté se plie à son assentiment
Et si elle dit oui, c'est à son choix
Qu'ira ma voix consentante et heureuse (...) »




Acte III, scène V, Capulet :
«  Seigneur Paris, je veux prendre le risque
De vous offrir l'amour de mon enfant. (...) ».
Et, lorsque Roméo se trouve à la fête qu'il donne, il ne le dénonce pas. Au contraire, il l’honore.
Acte I, scène V, Capulet :
« Calme-toi, cher neveu, laisse-le en paix.
Il se conduit en parfait gentilhomme,
Et c'est la vérité que Vérone est fière de lui
Comme d'un jeune seigneur vertueux et bien éduqué (...) ».
En deuxième lieu, les amants avaient aussi la chance que le Prince se porte garant de la loi. À l'époque, une telle guerre privée aurait pu prendre fin par le mariage des amants. Réalisé dans l'ombre, il apparaît plus comme un rapt. Le frère Laurent espérait quémander la clémence avérée du Prince pour qu'il autorise le retour de Roméo à Vérone, ce qui étaye l'idée d'une occasion manquée d'emprunter une voie légale. En effet, le Prince de Vérone a l'allure d'un dirigeant sage et clément qui intervient au nom de la Loi pour stopper la guerre. Il éloigne Roméo de sa ville sans le faire condamner à mort, et honore les défunts amants une fois qu'ils ont rencontré leur funeste « destin ». Ainsi, il restaure la loi et le bien dans la cité. Le deuil sera le liant de l'alliance entre les Montaigu et Capulet, alors qu'il aurait pu être l'amour de ces deux jeunes gens. Pourtant, cette apparente perfection du Prince laisse tout de même entrevoir une faillite de l'état de droit face aux conflits privés dans la cité. On pourrait y voir le signe d'une faiblesse du pouvoir du Prince. En effet, l'origine de la discorde n'est jamais ne serait-ce que mentionner, elle pourrait très bien être oubliée, voire très datée, ou n'être que le fruit de rivalités entre deux riches familles se livrant à une bataille d'influence, sans que la Justice n'est de prise. En l'absence d'une Justice tierce commune, le mal frappe les justes. Mais ce défaut n'est pas au cœur de la réflexion de Shakespeare sur le mal.

Il est bien plus traité dans cette pièce comme un fléau répandu dans le destin de chacun. Beaucoup meurt dans des rixes absurdes, dont la cause reste inconnue ou lointaine aux survivants. Il est intrinsèquement lié à cette situation de guerre qui pousse les âmes vertueuses au meurtre (même si c'est pour se défendre) et les autres aussi.
La loi est mise à mal de tout côté par l'usage du glaive privé mais aussi par son contournement par Roméo et Juliette. En cela, on peut nuancer l'idée que c'est le destin ou la société qui frappe les deux amants, malgré le nombre de hasards qui leur sont préjudiciables. En effet, toutes les manœuvres qu'ils ont réalisé leur ôtent la possibilité de se retirer derrière les lignes légales.








Mais il ne faut pas oublier que l'ensemble de ces manœuvres les ont exposé à des risques démesurés, et les ont désaxés d'une vie qui, au moins, aurait été possible. C'est éclatant quand on pense que les deux jeunes personnages avaient tout : noblesse, beauté et vertus.

Ce qui ressort de l'ensemble des contraintes que subissent les amants est un verrouillage progressif, fait d'une série d'actes et de normes aliénantes, qu'il est difficile d'imputer à la société, à Dieu, à eux-mêmes, ou à la Providence. En cela, l'amour de Roméo et Juliette est sublime face à l’absurdité du monde, il reste intact malgré le malheur de n'avoir pu être vécu. Dans sa direction puissante et presque dévorante, il est demeuré aussi constant qu'un mortel peut le rendre.

Peut-être Roméo, au moment de mourir, était-il déjà condamné. Il choisit de se suicider au nom de son amour pour Juliette qu'il croit morte, mais quoiqu'il en soit, comme il est à Vérone alors qu'il est banni, et qu'il a tué sans l'avoir voulu le fiancé de Juliette (le Comte Paris), il aurait sans doute été exécuté par le Prince.
Acte III scène III, Roméo :
« Il n'y a pas de monde hors des remparts de Vérone.
Rien que le purgatoire, la torture, l'enfer lui-même.
Être banni ici, c'est l'être du monde,
Et l'exil loin du monde, c'est la mort -
Bannissement,
Mais c'est mort sous un autre nom. Bannissement !
En appelant ainsi la mort, tu me tranches la tête
Avec une hache d'or
Et tu souris au coup qui m'assassine. »
Roméo ne souscrit pas du tout à l'idée d'un retour possible de ce bannissement. Pour lui, c'est égal à la mort, ce qui rejoint ainsi les menaces d'empoisonnement prononcées à son encontre par les Capulet (quelle ironie !). Égal à la mort : et peut-être qu'ainsi il se sent tué d'avance, alors son suicide serait l'accomplissement se son meurtre. Ce n'est donc pas cette mort qui le conduirait en enfer. Comme il sait qu'il va mourir, il exerce au moins une dernière fois sa liberté. L'enfer, c'est avant tout de vivre sans Juliette et en dehors de tout ce qu'il connait.

Shakespeare n'aurait pas voulu que l'on puisse juger les deux amants. Même le frère Laurent, qui est la référence commune des amants, est impuissant. De sa place de prêtre dévot, il semble pouvoir légitimement juger leur relation. C'est une sorte de mage en même tant qu'un conseiller : il prépare un somnifère qui recrée en apparence les conditions de la mort.








Pourtant tous ses pouvoirs ne peuvent donner une issue favorable à l'amour de Roméo et Juliette. On retrouve la question de la Providence contredite par le hasard et le mal. Les amants victimes sont possédés par de moindres maux, ainsi, ce qui apparaît comme l'indifférence du ciel ne trouve pas son origine en leurs cœurs.
Le mal est présent a priori comme une graine néfaste qui donne ses fruits au pire des moments, lorsque, amoureux, les amants sont prêts à tout sacrifier au nom de leur flamboyante passion.
Acte I, Scène I, Roméo :
- « (…) L'amour est la fumée qu'exhale nos soupirs.
Purifié, c'est un feu dans les yeux des amants,
Contrarié, une mer que grossissent leurs larmes.
Qu'est-il encore ? Une folie très sage,
Un fiel qui nous étouffe, un baume qui nous sauve. (...) »
Une graine sociale malade de cette époque, qui d'aliénations en aliénations, de morbidités en morbidités, mène à la tragédie. Rien ne pouvait sauver les amant, tout était joué d'avance. À l’œuvre le tragique d'une époque aliénante pour démontrer que même la puissance du plus profond des amours ne peut rien face à ce qui s'était déjà joué en dehors de lui.
Acte I, Prologue :
« Mais du sperme fatal des princes ennemis
Sont nés deux amoureux que détestent les astres,
Et leur grande infortune ensevelit enfin
Avec leurs pauvres corps les haines familiales. »

                       Destin

Acte I, Prologue :
« Mais du sperme fatal des princes ennemis
Sont nés deux amoureux que détestent les astres,
Et leur grande infortune ensevelit enfin
Avec leurs pauvres corps les haines familiales. »

Roméo, Acte I, scène V :
« Bien trop tôt, je le crains. Car mon âme redoute
Qu'un avenir, enclos dans les astres,
Commence amèrement ses heures funestes
Dans les joies de ce soir, et marque le terme,
Par le vil châtiment d'une mort précoce,
De la vie méprisée qu'abrite mon cœur ! (...) »

Juliette, Acte I, scène V :
« Va demander son nom...
La nourrice s'éloigne
S'il est marié
Le tombeau va être mon lit de noces. »





Mélancolie et personnalité trouble de Roméo

Acte I, Scène I, Roméo :
- « (…) L'amour est la fumée qu'exhale nos soupirs.
Purifié, c'est un feu dans les yeux des amants,
Contrarié, une mer que grossissent leurs larmes.
Qu'est-il encore ? Une folie très sage,
Un fiel qui nous étouffe, un baume qui nous sauve. (...) »
- « Bah, je me suis abandonné moi-même,
Je ne suis pas ici... Ce n'est pas Roméo.
Il est quelque part... »
- Benvolio : « Laisse-moi te guider. Oublie de penser à elle. »
Roméo : « Bon, apprends-moi commet on oublie de penser. »
Benvolio : « En rendant à tes yeux leur liberté.
Reconnais la beauté d'autres créatures. »

Acte I, scène II, Roméo :
« Pas fou, mais mieux ligoté qu'aucun fou.
Bouclé dans un cachot, gardé sans nourriture,
Fouetté, tourmenté... bien le bonsoir, mon brave ! ».

Acte I, scène II, Benvolio :
« à ce festin traditionnel des Capulet
Soupe la belle Rosaline, celle que tu aimes si fort, (...) ».
Roméo : « Si la dévote religion de mes regards
Admet pareille fausseté, que mes larmes deviennent flammes,
Et que ces yeux, si souvent noyés sans qu'ils meurent,
Clairement hérétiques soient brûlés
Pour m'avoir tant menti. Une femme plus belle que mon amour ! (...) »

Racines du mal

Acte I, Scène I, Roméo (passion déraisonnable) :
« Hélas ! Comment fait-il, Amour, les yeux bandés,
Pour suivre les chemins où son désir le porte ? »

Acte II, Prologue (contexte de guerre):
« Mais lui croit ennemie la dame qu'il implore,
Elle à un âpre fer vole l'appât d'amour. »

Acte III, scène II, la nourrice (à l'annonce de la mort de Tybalt, la bêtise des serviteurs) :
« (…) Honte sur Roméo ! ».









Acte III, scène V, Capulet (violence sociale) :
« (…) Et pas de gré... Ah, donzelle, petite garce,
Faites moi grâce de vos grâces, épargnez-moi vos fiertés,
Mais veuillez exercer vos jolis mollets pour vous rendre
Jeudi, avec Paris, à l'église Saint-Pierre.
Car sinon je t'y porterai sur un chariot de supplice.
Hors d'ici, charogne blafarde, va-t'en, roulure,
Figure de carême ! ».



Le bien :

Acte I, scène II, Capulet (s'adressant à Paris, contexte de la fête) :
« Ma volonté se plie à son assentiment
Et si elle dit oui, c'est à son choix
Qu'ira ma voix consentante et heureuse. »

Acte V, scène III, le Prince :
« (…) Où sont ces ennemis ? Capulet ? Montaigu ?
Voyez donc quel fléau frappe votre haine :
La justice du ciel a trouvé le moyen
D’anéantir vos joies par l'effet d'un amour.
Et moi, qui ai fermé les yeux sur vos discordes,
Je perds ces deux parents. Nous sommes tous punis. »




Mercutio, la voix de l'auteur ?

Acte I, scène IV : « S'il est dur avec vous, soyez-le autant avec lui,
Percez l'amour qui vous perce, possédez-le...
Moi, qu'on me donne un étui pour y fourrer mon visage,
Un masque pour le masque ! Peu me chaut
Qu'un œil curieux commente mes laideurs.
Voici les gros sourcils qui rougiront pour moi. »
Il met un masque.

Acte I, scène IV : « C'était que ceux qui rêvent
Sont de mauvais coucheurs. »
(That dreamers often lie = les rêveurs mentent).

Acte II, scène II :
« Si l'amour est aveugle, il manquera sa cible... (...) »






Scènes importantes, monologues :

Acte II, scène II, Roméo :
« (…) Mais doucement ! Quelle lumière brille à cette fenêtre ?
C'est là l'Orient, et Juliette en est le soleil.
Lève-toi, clair soleil, et tue la lune jalouse
Qui est déjà malade et pâle, du chagrin
De te voir tellement plus belle, toi sa servante.
Eh bien, ne lui obéis plus, puisqu'elle est jalouse,
Sa robe de vestale a des tons verts et morbides
Et les folles seules la portent : jette-la...
Voici ma dame. Oh, elle est mon amour !
Si seulement elle pouvait l'apprendre !
Elle parle... Mais que dit-elle ? Peu importe,
Ses yeux sont éloquents,je veux leur répondre...
Non, je suis trop hardi. Ce n'est pas à moi qu'elle parle.
Deux des plus belles étoiles de tout le ciel,
Ayant affaire ailleurs, sollicitent ses yeux
De bien vouloir resplendir sur leurs orbes
Jusqu'au moment du retour. Et si ses yeux
Aillaient là-haut, si ces astres venaient en elle ?
Le brillant de ses joues les humilierait
Comme le jour une lampe. Tandis que ses yeux, du ciel,
Resplendiraient si clairs à travers l'espace éthéré
Que les oiseaux chanteraient, croyant qu'il ne fait plus nuit...
Comme elle appuie sa joue sur sa main ! Que ne suis-je
Le gant de cette main, pour pouvoir toucher cette joue ! »




Acte IV, scène III, Juliette :
« Adieu !
Quand nous reverrons-nous ? Dieu seul le sait.
Je sens un vague frisson de peur
S'épandre dans mes veines et glacer presque
La chaleur de ma vie... Je vais les rappeler
Pour qu'elles me rassurent. Ma nourrice !...
Que ferait-elle ici ? Cette scène lugubre,
Je dois la jouer seule... Le flacon !
Oh, si cette mixture n'agissait pas ?
Serais-je alors mariée, demain matin ?
Non, non ! Ceci l'empêcherait.
Toi, reste ici...
Elle pose un poignarde près d'elle.
Ou si c'était un poison que le frère






M'administre sournoisement, pour que je meure,
Craignant d'être déshonoré par ce mariage,
Lui qui m'unit avec Roméo ?
J'en ai peur... Et pourtant je ne puis le croire
Car il s'est révélé un saint homme, toujours.
Oh, que faire, quand je serai dans cette tombe,
Si je m'éveille avant que Roméo ne vienne
M'en délivrer ? Dieu, l'idée est horrible.
N'étoufferai-je pas dans cette crypte
Dont la bouche infecte jamais n'a respiré d'air salubre,
N'y mourrai-je pas, asphyxiée, avant que mon Roméo n'arrive,
Ou, si je vis, n'est-il pas probable
Que l'horrible impression de mort et de nuit,
Renforcée par l'horreur qu'inspire le lieu...
Cet antique sépulcre, ce réceptacle
Où depuis tant de siècles sont entassés
Les os de mes ancêtres ensevelis ;
Où Tybalt encore sanglant bien qu'en terre fraîche,
Pourrit dans son linceul ; et où, dit-on,
à certaines heures de nuit les esprits reviennent !
- Oh oui, hélas, hélas, n'est-il pas probable
Qu'en m'éveillant trop tôt – ah, s'il est un éveil
Dans ces odeurs infectes, ces cris stridents
De mandragore arrachée à la terre
Qui rendent fous les mortels qui entendent !
- Probable, oui, que j'en perdrai la tête
Environnée de toutes ces horreurs ;
Et ne jouerai-je pas, comme une folle,
Avec les ossements de mon ascendance ?
Ne tirerai-je pas Tybalt de son suaire,
Tybalt déchiqueté ? Et prenant pour massue
Dans ma fureur un os de quelque grand ancêtre,
N'en briserai-je pas ma cervelle égarée ?
Que vois-je ? N'est-ce pas le spectre de mon cousin
Poursuivant Roméo, qui l'embrocha
Sur la pointe de son épée ? Arrête, Tybalt, arrête !
J'arrive, Roméo ! C'est à toi que je bois ceci.
Elle tombe sur son lit, derrière les rideaux.














Acte V, scène III, Roméo :
« Je le veux bien, ma foi ! Mais voyons ce visage...
C'est le cousin de Mercutio, le noble Comte Paris !
Que me disait mon valet, quand nous chevauchions vers Vérone
Et que mon âme bouleversée ne l'écoutait guère ? Je crois
Qu'il disait que Paris devait épouser Juliette.
Me l'a-t-il dit ? Ou l'ai-je rêvé ? Ou bien même
Suis-je assez fou, l'entendant parler de Juliette,
Pour m'être imaginé cela ? Oh, donne-moi ta main,
Qui a signé auprès de la mienne au noir livre de l'infortune,
Je vais t'ensevelir dans ce magnifique tombeau.
Un tombeau ? Certes non, jeune victime, un phare
Car Juliette y repose, et sa beauté
Fait de ces voûtes la salle illuminée d'une fête.
Mort, couche-toi ici, enterré par un autre mort.
Il dépose Paris dans le caveau.
Combien de fois les hommes qui vont mourir
Ont ce moment de joie, que les gardes-malades
Notamment l'éclair de la fin. Mais moi, comment pourrai-je
Dire un éclair cette heure ? Ô mon amour, ma femme !
La mort, qui a sucé le miel de ton haleine,
N'a pas encore eu prise sur ta beauté
Et tu n'es pas vaincue. L'oriflamme de la beauté
Est toujours pourpre sur tes lèvres et tes joues,
Et le drapeau livide de la mort
N'y a pas encore paru. Est-ce toi Tybalt,
Qui gis ici, dans ton linceul sanglant ?
Eh bien, puis-je mieux faire, en réparation,
Que, de la même main qui fauche ta jeunesse,
Anéantir celui qui fut ton ennemi ?
Pardonne-moi, cousin... Ah ! Juliette chérie,
Pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire
Que l'impalpable mort serait amoureuse,
Et que ce montre honni et décharné
Te garde dans le noir pour que tu sois sa maîtresse ?
Par crainte de cela je veux rester près de toi,
Et jamais, du palais de cette nuit obscure,
Jamais ne ressortir. Ici, je veux rester
Avec les vers qui sont tes chambrières. C'est ici
Que je veux mettre en jeu mon repos éternel
Et arracher au joug des étoiles contraires
Ma chair lasse du monde.. Un regard ultime, mes yeux,
Une étreinte ultime, mes bras ! Et vous, ô portes du souffle,
Vous, mes lèvres, scellez d'un baiser permis








Mon contrat éternel avec l'avide mort.
Viens, mon amer pilote, mon âcre guide !
Ô nocher de mon désespoir, précipitée d'un seul élan
Sur le roc écumeux ta barque fatiguée
Des houles de la mer. Je vois à mon amour.
Il boit.
Que ta drogue est rapide, honnête apothicaire,
Sur un baiser je meurs.
Il meurt.
Entre frère Laurent, avec une lanterne, un levier et une bêche.








Ouvertures :
- La période élisabéthaine
- Relire en anglais

- 1564 : naissance de Shakespeare
1603 : Jacques VI d'Ecosse succède à Elisabeth sous le nom de Jacques Ier d'Angleterre
1594 ou 1595 : écriture de Roméo et Juliette.
1616 : mort de Shakespeare.

- Berman, Ronald, A reader's Guide to Shakespeare's Plays : A Descriptive Bibliography, 1965.
- Shakespeare Quarterly
- Fluchère, Henri, Shakespeare, dramaturge élisabéthain (1948), Gallimard, 1966.
- Mayoux, Jean-Jacques, Shakespeare (1966), Aubier, 1982.
- Venet, Gisèle, Temps et vision tragique. Shakespeare et ses contemporains, Presses de la sorbonne nouvelle, 1985.
- Vignaux, Michèle, Shakespeare, Hachette, 1998.

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